Le soleil s’est levé sur la plage Est de l’île d’Henderson, où nous sommes 12 à avoir passé la première des sept nuits de notre séjour sur place. Le plus vite possible, pour échapper au soleil qui nous accable, nous nous déployons sur toute la longueur de la plage et commençons à rassembler les Big Bags.
Transporter les big bags sans endommager la barrière de corail
Depuis le navire, qui a passé la nuit à la dérive en face de notre campement, nous recevons les trois radeaux que nous avons fabriqués : deux paddles gonflables reliés par des profilés en plastique recyclé maison, un radeau constitué de deux boudins de type Zodiac assemblés et sécurisés par un filet au centre, et une plateforme de ponton flottant que nous avons récupérée en Équateur. Avec ces équipements, Baptiste et Maxime, qui ont préparé l’atelier de recyclage pour transformer les déchets à bord, nous rejoignent pour nous prêter main forte. On se lance dans un contre-la-montre, car la météo est pour l’instant favorable à un débarquement par voie maritime des déchets. Pour cela, on utilisera les radeaux et le va-et-vient installé par Simon et Ludwig, le « local » de la bande. Il a passé les vingt dernières années sur les îles du Pacifique côté Polynésie et sait mieux que personne comment traverser un récif au milieu des vagues sans s’écraser contre le corail tranchant.
Les radeaux sont chargés de Big Bags, chacun pesant en moyenne 100 kg. Ils sont tellement lourds que l’on peine à les rouler pour les descendre vers les radeaux. Une fois chargée, la barge de fortune peut être tractée par une seule personne malgré les trois Big Bags qu’elle supporte. Le processus est fatiguant, mais fonctionne très bien ! On s’attaque aux centaines de bouées qui ont également été laissées en 2019 sur la plage. Les liens qui les relient sont remplacés, et on tracte des dizaines de mètres de guirlande le long du récif en prenant bien soin d’éviter les coraux. Les poissons-perroquets, curieux, viennent regarder de près notre remue-ménage. S’ils n’ont jamais vu d’humain, on espère leur laisser un bon souvenir en les aidant à reprendre possession des lieux sans trace de pollution humaine.
À midi, la pause repas nous permet de mettre en place le plan d’action de l’après-midi : extraire les déchets rassemblés au point de passage dans le récif que l’on a marqué d’une bouée. Le ressac et le courant y sont très puissants, et le risque de chavirement est grand. Dès 13 heures, Simon, Ludwig et Alexandre s’équipent de masques, tubas et palmes pour sécuriser le transfert et empêcher la ligne qui relie le rivage à l’extérieur du récif de se bloquer au fond et d’endommager le corail. Nous tentons la première manœuvre avec trois sacs chargés de déchets. On traîne la plateforme avec l’aide du Zodiac depuis le large et, après quelques vagues qui nous tiennent en alerte, le chargement est sécurisé dans la zone calme et profonde du rivage. C’est un succès ! On se tape dans les mains, on crie de joie ! Le passage est inauguré et bientôt nous enchaînons les allers-retours. La logistique en aval est également longue et complexe : le Zodiac remorque la plateforme jusqu’au navire Plastic Odyssey, qui la réceptionne et grue les Big Bags un par un sur le pont. Nous chargeons en priorité le plastique dur que nous pourrons recycler directement à bord. Le pont est bientôt recouvert ! Ces déchets qui hantaient l’île sont maintenant une ressource précieuse pour notre atelier. Ils ressortiront de notre navire sous forme de planches, de bancs et de profilés que l’on pourra installer dans les îles voisines qui en ont besoin. Ces déchets ont une valeur inestimable : ils sont le symbole d’une pollution débordante que l’océan recrache sur les plages les plus isolées de la planète. Ils sont le signe d’un débordement de nos écosystèmes par les déchets. Mais ils sont aussi la preuve que des solutions sont possibles : un « impossible cleanup » rendu possible par le déploiement des solutions de recyclage à petite échelle. Notre navire en est le démonstrateur, et les technologies qu’il utilise méritent d’être répliquées partout dans le monde. Les contenus que nous avons la chance de pouvoir créer : vidéos, photos, récits écrits, serviront, on l’espère, à donner envie de faire changer les mentalités du plus grand nombre et réduire à la source la consommation de plastique.
Nous avançons vite et bien. Mais après deux jours de collecte acharnée, nous n’avons pour l’instant récupéré que le plastique collecté en 2019. Depuis, la plage s’est recouverte de nouveaux déchets : nous entreprenons un protocole de comptabilisation pour en mesurer la concentration et la provenance. Ces données seront très utiles pour nourrir le programme de recherche que nous avons prévu avec Hanna, une scientifique moitié néerlandaise, moitié Américaine spécialisée dans le plastique.
Le soir, nous retrouvons notre camp envahi d’une cinquantaine de bernard-l’ermite qui visitent nos bols en noix de coco et nos cuillères en bois, et tentent de grimper aux filets de nourriture suspendus. Le savon de Marseille fait fureur : ils déchirent nos sacs étanches pour le trouver. La nuit, ils viennent surveiller notre sommeil de très près, par dizaines, et nous réveillent par le bruit discret des herbes qu’ils traversent. Sur cette ile paradisiaque et pourtant en danger, le climat est idéal la nuit : il ne fait ni trop chaud ni trop froid. Pas de moustique, pas de serpent, seulement des rats qui pour l’instant nous évitent. Depuis notre arrivée et après le passage de la grosse dépression qui nous a retardée sur le départ, nous n’avons pas eu de pluie. Tous les éléments semblent s’aligner pour nous aider dans l’accomplissement de notre tâche titanesque. Demain, nous continuerons de rassembler les tonnes de déchets qui envahissent le rivage dans des Big Bags et nous pourrons commencer à extraire les 100 mètres de guirlande de bouées que nous avons assemblées !
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